À la familière étrangeté qui vibre en soi
À l’occasion du stage « Qui suis-je ? Quel est mon personnage ? » sur la proposition de et co-animé avec Marie-Laure Spéri (comédienne et chorégraphe), 1er et 2 avril 2023 au Tanit théâtre (Lisieux)
Poser la question « Qui suis-je? » est un gouffre vertigineux, le seuil d’une aventure singulière, possiblement fascinante, parfois déstabilisante. C’est prendre un peu de distance avec ce que je crois savoir de moi pour m’ouvrir à cette part oubliée, souterraine, refoulée, dormante, en devenir … qui se recompose sans cesse à même le corps. Ce corps qui est moi sans que je comprenne toujours ce qui s’y exprime.
L’atelier collectif, quand le tissage alchimique des corps en présence opère, peut être le cocon de cette expérience, un ersatz de la matrice originelle, un espace d’éclosion, ou plus exactement d’expression de cet Autre en moi, ce double dont j’ai besoin pour me révéler, m’équilibrer, me recentrer, me surprendre, me dépasser… pour recomposer une image de moi plus entière, plus complexe, plus inattendue… plus moi-même.
L’atelier collectif, quand il vibre de bienveillance, est une caisse de résonance fertile, un miroir tendu par le corps des autres, par l’expérience partagée, par la sécurité offerte et dans laquelle je peux m’abandonner à ce qui se joue en moi, à mes sensations le plus souvent réduites au silence par l’agitation du monde, par le brouhaha des images spéculaires, par l’urgence à tenir les horloges du quotidien, parfois même par réflexe inhibiteur de protection.
L’atelier collectif est alors un écrin, l’espace-temps de cette rencontre insolite avec ce qui en moi a besoin de se déposer, de jouer, de danser… de se dire ; l’espace-temps de l’écoute, de l’accueil, de l’ouverture à cette autre part de soi, à cette étrangeté plus ou moins familière, plus ou moins tapie dans l’ombre de mon histoire. Elle est matière à faire cheminer ce « Qui suis-je? » dans la poésie fugitive du geste, dans la puissance révélatrice de l’instant présent, dans la vibration de la chair où elle fera mémoire.
Pédagogiquement, c’est toujours une aventure sensible, unique, sur le fil. Émouvante dans le sens où elle me met en mouvement, à cet endroit du passage, de l’intercession. M’offrir comme ce pont d’une rive à l’autre, sécuriser la traversée. Réveiller le désir, la curiosité, l’esprit de l’enfance. Donner l’espace et le temps, la liberté sans se perdre, le goût de l’envol avec toujours un sol sous les pieds… Rendre possible l’expression de ce qui est là, quelque part. Peut-on jamais maîtriser cet art du « passeur » ?
J’y travaille, car je n’aime rien tant que de voir briller dans les yeux l’écho de cette rencontre intime, de cet avènement, et l’émotion indicible qu’elle suscite.
Un cadeau.
11 avril 2023
Post-scriptum bibliographique:
Delphine Horvilleur, Il n’y a pas de Ajar, monologue contre l’identité, Éd.Grasset, 2022
Une lecture que j’ai faite récemment et qui résonne à mon sens plutôt bien avec le stage évoqué plus haut.